Cette année encore, j’ai remis le couvert pour la 35e édition du BIFFF. Dans le cadre de ma collaboration avec le festival pour le développement de son application mobile pour Android, j’ai à nouveau reçu une accréditation presse qui m’a permis de visionner 23 films cette année. Et comme je ne fais pas les choses à moitié, j’ai écrit une critique personnelle pour chacun d’eux. Le niveau de qualité de ce que j’ai vu m’a paru globalement meilleur que celui de l’année passée. Les choix du jury pour le palmarès étaient par contre discutables.
The Girl with All the Gifts
La petite Melanie (Sennia Nanua) n’a pas une enfance très enviable: enfermée dans le sous-sol d’un bunker au sein d’une base militaire, elle passe ses journées entre sa cellule et sa salle de classe, ligotée à une chaise avec un masque d’Hannibal Lecter sur le visage. Il faut dire qu’elle et ses petits camarades sont des enfants de zombies: animés par un appétit certain pour la chair fraîche, ils ont la particularité de maintenir une conscience et une apparence humaines parfaitement normales. Cela n’empêche pas Melanie de déborder d’optimisme et de curiosité. Le jour où la base se retrouve assiégée, elle intègre un petit groupe qui parvient à s’en échapper, en compagnie de son institutrice adorée Miss Justineau (Gemma Arterton) et d’une biologiste qui aimerait bien la découper pour synthétiser un vaccin (Glenn Close). S’ensuit un road-movie plutôt classique en territoire zombie dont la vraie star est indéniablement la gamine avec son comportement et ses dialogues aux réponses cinglantes. C’est d’ailleurs le seul personnage vraiment développé dans le film, les autres agissant (et mourant) de façon très prévisible. Pour le reste, quelques scènes d’horreur tendues satisferont les fans, les décors sont travaillés et agréables à l’oeil et l’histoire possède un deuxième niveau de lecture qui soulève quelques questions intéressantes. Et la fin est plutôt osée. 7/10
Contratiempo (The Invisible Guest)
Je n’ai jamais été déçu par les thrillers espagnols présentés au BIFFF et celui-ci ne déroge pas à la règle. Paulo Oriol écrit et réalise ici un mystère captivant aux nombreux rebondissements. Et un bon scénario, c’est ce que je préfère. Suite à son arrestation dans une chambre d’hôtel pour le meurtre de sa maîtresse et à la veille de son procès, un jeune et riche homme d’affaires reçoit la visite d’une avocate experte qui vient l’aider à préparer sa défense. En 180 minutes, celle-ci l’oblige à dévoiler toute l’histoire en éclaircissant chaque zone d’ombre de son témoignage pas toujours crédible, jusqu’à ce que, après plusieurs itérations et changements d’interprétation, la vérité finisse par éclater au grand jour… Impeccable visuellement et porté par de solides acteurs, le film est habile dans sa narration en invitant le spectateur à chercher les incohérences et démêler le vrai du faux et on se prend rapidement au jeu. L’inconvénient étant qu’à force d’observer, on finit par anticiper certaines révélations du film. Quoi qu’il en soit, les 20 dernières minutes vous tiendront en haleine et vous ne regretterez pas l’aventure. 7/10
Free Fire
Un bon défouloir sous la forme d’une fusillade géante, ça vous dit ? Ben Wheatley qui nous avait mind-fucké avec “High Rise” revient avec un film bien British où il fait tout le contraire: vous pouvez maintenant éteindre votre cerveau, ici il n’y a que de l’action pendant 1h30. Soulignée par des dialogues hilarants et souvent bien gras comme “Sympathy is in the dictionary between shit and syphilis. Find it in your own time.” Le pitch est très simple: une vente d’armes à feu organisée dans un entrepôt tourne mal et tout le monde finit par canarder tout le monde, au début un peu par accident et à la fin par pure revanche parce que bon, on n’est plus à ça près. On a droit à un casting de rêve avec entre autres Cillian Murphy en gros dur, Sharlto Copley en arnaqueur hypocondriaque dans un costume très “seventies”, Armie Hammer en hipster et Brie Larson qui en a marre de ce long défilé de testostérone. Le film est donc constitué d’une seule grosse scène d’action - la fusillade - et on ne s’ennuye pas une seconde. Mais n’en attendez pas plus. 7/10
The Void
Un flic en patrouille dans un bled paumé emmène un jeune homme ensanglanté trouvé sur le bord de la route à l’hôpital du coin. Un peu plus tard, le bâtiment se retrouve encerclé par une bande d’illuminés revêtus de toges blanches tandis qu’une mystérieuse infection se propage à l’intérieur, transformant les contaminés en créatures monstrueuses. Ajoutez à cela un savant fou qui tente d’ouvrir un portail interdimensionnel et c’est banco au niveau des clichés pour un film d’horreur qui rend directement hommage aux années 1980. J’ai aimé son aspect divertissant, son ambiance lovecraftienne et ses effets spéciaux pratiques efficaces appliqués à des monstres dignes du bestiaire de John Carpenter. Par contre les personnages sont inintéressants, l’histoire n’a ni queue ni tête et la fin est décevante. 6/10
Bloodlands
Je suis allé voir “Bloodlands” en tant que fan du précédent film du réalisateur Steven Kastrissios, présent avant la séance. Il a directement annoncé la couleur: “Ne vous attendez pas ici à un film de vengeance avec une débauche de violence, Bloodlands est un drame familial très lent avec une touche de surnaturel.” Effectivement, bien qu’il soit quand même un peu violent vers la fin, “Bloodlands” ne fait que suivre le quotidien d’une famille albanaise plutôt traditionnelle, en effleurant le thème de la sorcellerie. J’ai apprécié cette carte postale de l’Albanie rurale composée de très belles images. Beaucoup moins son scénario désespérément vide et ses rares scènes d’action vers la fin sans la moindre tension ou originalité. 4/10
Tarde para la ira
Deuxième film espagnol pour moi cette année. La qualité était encore au rendez-vous mais je m’attendais à mieux vu le nombre de prix reçus par ce film. On suit ici José, un homme bien calme et mystérieux qui ne va pas tarder à se mettre en colère après une bonne demi-heure d’introduction. Il attendait patiemment qu’un certain Curro sorte de prison, 8 ans après le violent braquage d’une bijouterie, pour pouvoir exercer sa vengeance et punir les vrais coupables. C’est bien joué et le scénario est soigné mais les rebondissements ne sont pas nombreux et la violence plutôt rare; ne vous attendez pas à du Tarantino. Un bon thriller dans l’ensemble qui mise beaucoup sur la tension et le jeu de ses acteurs, sans plus. 6/10
Hurok (Loop)
Un film de voyage dans le temps écrit et réalisé par un passionné du genre, cela ne se refuse pas, même quand celui-ci nous vient de Hongrie avec un budget limité. Isti Madarász a le mérite d’avoir concocté son film avec une grande attention aux détails et un script qui nous retourne la tête. Loop raconte comment un petit trafiquant de drogue et sa petite amie enceinte tentent de trahir leur patron tyrannique lors d’une dernière mission avant de se retrouver malgré eux prisonniers d’une boucle temporelle. Cela a aussi des avantages car étant donné que chacun d’eux va rapidement trouver la mort, ils pourront compter sur l’apparition d’une autre version d’eux-même dans la boucle. Cette journée au départ banale se complique progressivement alors que les mêmes scènes sont revisitées sous de nouveaux points de vue dévoilant de nouveaux mystères. Et pour peu qu’on se prenne au jeu, on n’en décroche plus jusqu’à la fin, allant de surprise en surprise. La réalisation est impeccable et les acteurs sont crédibles, ce qui en fait un objet filmique incontournable pour les fans de scénario-puzzle comme moi. Ma note s’adresse d’ailleurs à ceux-ci car les autres, désorientés, risqueront peut-être de trouver le temps un peu long. 8/10
Neol gi-da-ri-myeo (Missing You)
Un revenge thriller sud-coréen de bon niveau qui n’a pas grand chose d’original à offrir. Difficile de faire mieux que les références du genre comme “Old Boy” ou “I saw the Devil”. Une fillette nommée Hee-ju assiste impuissante à la mort de son père, inspecteur de police. 8 ans plus tard, l’assassin présumé est libéré de prison car il n’a pu être condamné que pour un seul meurtre, et Hee-ju a eu tout le temps d’élaborer son plan de vengeance pour l’accueillir comme il se doit. La police ne compte pas le lâcher d’une semelle non plus car ils n’ont pas digéré que le meurtre de l’un des leurs demeure impuni. Mais peut-être suivent-ils la mauvaise personne? Au final il n’y a pas énormément de rebondissements dans le film mais on a quand même droit à de beaux portraits de quelques personnages bien torturés. Et les policiers apportent un véritable élément comique par leur incompétence totale du début à la fin. 6/10
Swiss Army Man
“What the Fuck ?!”: tels sont les derniers mots prononcés dans ce long métrage indépendant et assez représentatifs de son contenu. C’est l’objet filmique non identifié qui a fait sensation dans tous les festivals en 2016 et je n’en pense que du bien. L’histoire est difficile à raconter de façon sérieuse: Hank (Paul Dano), un jeune homme seul sur une île déserte, est au bord du suicide. Jusqu’à ce qu’un cadavre nommé Manny (Daniel Radcliffe) échoue sur la plage et qu’il se lie d’amitié avec lui, lui confiant petit à petit toutes ses angoisses et ses secrets. Manny est un cadavre multi-usages tel un couteau suisse et a un gros problème de flatulences, ce qui peut également s’avérer utile comme moyen de propulsion lorsque Hank le chevauche comme un jet ski pour fuir l’île déserte. Il fait également office de source d’eau potable, un geiser d’eau surgissant de sa bouche à la demande. Son pénis est une boussole. Je sais que ces dernières phrases semblent n’avoir aucun sens, mais c’est pourtant bien ce qu’on voit à l’écran et la suite est encore plus étrange. Swiss Army Man c’est un mélange entre un trip hallucinatoire et une expérience philosophique sur l’intimité d’un homme coupé de la civilisation. Ce sont aussi de magnifiques images et face à l’inventivité bouillonnante de certaines scènes on a parfois l’impression de regarder un film de Michel Gondry, ce qui est un beau compliment. Paul Dano est touchant et Daniel Radcliffe est génial et signe son meilleur rôle jusqu’ici. Je garde le meilleur pour la fin: la musique. La bande-son du film consiste intégralement en des airs mélodiques chantés par les deux acteurs qu’il vous sera impossible de vous sortir de la tête, mes favoris étant les reprises de “Cotton Eye Joe” et du thème de “Jurassic Park”.
9/10
Disponible sur Netflix Belgique
Under the Shadow
Ce film indépendant ambitieux m’a marqué: il parvient à mélanger avec beaucoup de classe deux genres à priori très différents. D’une part, il dresse le portrait émouvant de la situation difficile des femmes en Iran à la fin des années 1980, en pleine période de guerre avec l’Iran sous un gouvernement régi par la charia. D’autre part, il nous offre des scènes d’épouvante bien flippantes proches de “Babadook”, avec un monstre qui s’immisce dans la vie d’un enfant perturbé pour mieux pousser sa mère vers la folie. La mère en question c’est Shideh, qui se voit refuser la reprise de ses études de médecine au début du film à cause de son passé de militante pendant la révolution. Lorsque son mari est ensuite appelé à travailler au front, elle se retrouve seule avec sa fille Dorsa qui devient de plus en plus agitée, surtout après l’atterrissage surprise d’un missile dans l’appartement du dessus. Celui-ci aurait apparemment amené avec lui un esprit malfaisant, le djinn… La cinématographie est superbe, le discours social est subtil et les scènes d’horreur m’ont tellement tendu que j’ai eu envie de me cramponner à mon fauteuil durant toute la dernière demi-heure. C’est à cela qu’on reconnaît les grands films!
8/10
Disponible sur Netflix Belgique
Prityazhenie (Attraction)
“Le Michael Bay russe”, voilà qui décrit bien Fedor Bondarchuck, le réalisateur de ce film, qui n’a hélas pas pu accompagner ses 2 acteurs présents au BIFFF. On a donc le bon (quelques rares séquences d’effets spéciaux impressionnants lancés au visage du spectateur) et aussi le mauvais (scénario ridicule, personnages totalement inintéressants). Par contre on se prend ici moins au sérieux que dans un film de Mr Bay avec quelques dialogues hautement improbables apportant quelques touches d’humour qui aident à faire passer ces 2h10 très inégales. Le scénario: un gros vaisseau extraterrestre se crashe en Russie. Qui sont ces visiteurs et quelles sont leurs intentions? Pour le savoir,… suivons un groupe de jeunes rebelles sans personnalité dans une histoire de trio amoureux. Le film a de gros problèmes de rythme: il perd son temps dans des trames secondaires inutiles, se fait un malin plaisir d’éviter de répondre aux questions importantes que se pose le spectateur, et oublie de faire monter la tension quand c’est nécessaire. Cela reste globalement distrayant mais on a l’impression de s’être fait avoir à la fin. Nyet! 5/10
Safe Neighborhood
Lorsque des étrangers entrent par effraction dans un domicile le soir de Noël pour des raisons inconnues, une baby-sitter prend la défense d’un garçon de 12 ans qui n’a d’yeux que pour elle. Elle va rapidement se rendre compte que les apparences sont trompeuses et que les responsables de cette prise d’otage ont l’esprit bien tordu. Je ne peux malheureusement pas en dire plus car “Safe Neighborhood” est l’un de ces films qui misent tout sur l’élément de surprise, jouant avec les codes des films d’horreur. On trouve peu d’informations à son sujet et il n’y a pas de bande-annonce officielle, et c’est tant mieux. Sorte de mélange détonant entre “Scream” et “Home Alone” (cité dans le film), “Safe Neighborhood” est tout taillé pour un festival comme le BIFFF: drôle, caricatural, politiquement incorrect avec des rebondissements inattendus qui n’en font pas un film très crédible mais diablement divertissant. Le tout repose sur le jeu de jeunes acteurs qui font du très bon travail et fait plaisir à l’oeil grâce à une superbe imagerie de Noël. 7/10
Spit’n’Split
Le film expérimental de Jérôme Vandewattyne (jeune réalisateur de courts métrages pour le BIFFF) est un faux documentaire sur un groupe de rock belge nommé “The Experimental Tropic Blues Band”. Je m’attendais à quelque chose de plus original avec une incursion dans l’horreur à la “C’est arrivé près de chez vous”. Rien de tout cela ici. On a quand même droit à de beaux morceaux de belgitude et de longs monologues philosophiques plus ou moins intéressants mais après avoir suivi le groupe dans 4 ou 5 concerts identiques on finit par s’ennuyer autant que les personnages à l’écran qui passent des heures dans les bouchons sur des autoroutes ou à fumer des substances pour oublier leur misérable cachet de la veille. Le moment fort du film est sans nul doute la visite dans le repère en aluminium de Rémy S. Legrand (mascotte du BIFFF) qui l’espace d’un instant nous fait oublier notre ennui en nous emmenant dans un univers parallèle du plus mauvais goût. Après cette scène culte, c’est malheureusement le retour à la réalité plate jusqu’à la fin du film où on a droit à une petite incursion éclair de Bouli Lanners suivie d’un long trip psychédélique sans aucun intérêt. Ca, c’est fait. 5/10
Another Evil
Pas de chance pour Dan et sa femme: leur résidence secondaire est hantée. L’exorciste du coin les rassure: les deux fantômes présents ont les meilleures intentions du monde et il faudrait être le pire des salauds pour vouloir les mettre dehors. Mais comme Dan tient quand même à son intimité, il demande un second avis à Os, un “exorciste de qualité industrielle” qui ne porte pas les démons dans son coeur et propose ses services afin d’éradiquer toute présence fantômatique de la maison. On se rend alors compte qu’Os n’est pas un exorciste typique (si une telle chose existe) et qu’il a déjà bien à faire à combattre ses propres démons (à commencer par l’alcool) avant de pouvoir s’occuper de ceux de la maison… Vous trouviez la plupart des films d’exorcisme trop sérieux ou formatés? Vous allez être ravis avec celui-ci! À mourir de rire avec ses dialogues aux petits oignons et ses situations totalement improbables, on sent bien ici la patte du coscénariste de “Silicon Valley”. Un peu comme si “L’Exorciste” rencontrait “Strip-tease”. Le tout petit budget du film ne nuit absolument pas à l’ambiance car celui-ci est porté par les performances de ses acteurs, excellents du début à la fin. 7/10
Replace
J’ai assisté à la projection de “Replace” en première mondiale (“et dernière mondiale?” comme criaient les mauvaises langues dans la salle), en présence de son réalisateur Robert Kiel et ses acteurs. Co-écrit avec Richard Stanley, ce film nous dévoile le quotidien de Kira Mabon (Rebecca Forsythe), une jeune femme très attachée à son apparence qui se met à souffrir d’un sévère problème de dégénérescence de la peau. Aucun traitement ne faisant effet, celle-ci découvre alors par accident que son organisme est capable d’absorber instantanément la peau prélevée sur d’autres personnes encore vivantes, lui permettant de faire littéralement peau neuve… Désespérée, elle décide donc de faire la peau à des innocents juste pour pouvoir se sentir mieux dans la sienne. Comme vous pouvez vous en douter, l’originalité principale de ce long-métrage tient en ses scènes d’horreur cutanée, nombreuses et réussies, qui feront tourner de l’oeil les âmes sensibles. La narration démarre de façon très chaotique et on ne comprend pas très bien ce qui se passe jusqu’à ce qu’il soit révélé que la protagoniste est également amnésique et qu’elle revit périodiquement des images floues de son passé. Malgré cette révélation, il y a quelque chose de nonchalant dans l’enchaînement de l’action (peut-être le montage?) qui m’a dérangé pendant tout le film, en plus de la performance catastrophique de Lucie Aron qui interprète la copine de Kira. Une copine qui l’a vraiment dans la peau puisqu’on la voit une scène sur deux ce qui m’a mis les nerfs à fleur de peau tellement elle joue mal. Tout ceci est d’autant plus dommage que le scénario n’est pas mauvais et l’esthétisme des images est particulièrement léché, rappelant celui de “The Neon Demon”. 6/10
The Unkindness of Ravens
Andrew est un vétéran de guerre souffrant de stress post-traumatique. Hanté par des flashes-backs de son dernier champ de bataille, il est dorénavant effrayé par les corbeaux (il ne doit pas venir souvent au BIFFF). Sur les conseils de sa psychologue, il décide de partir en vacances dans une maison située dans les régions montagneuses d’Écosse afin d’affronter ses démons. Sa retraite spirituelle va rapidement se transformer en bad trip cauchemardesque où des guerriers-corbeaux font la loi et veulent sa peau. Le spectateur se retrouve happé dans l’univers sombre de cet esprit perturbé et n’en sortira pas indemne. Entre deux hallucinations effrayantes ou sanglantes faisant preuve de constante inventivité visuelle, on découvre peu à peu les souvenirs de guerre franchement perturbants de ce pauvre soldat. La musique colle parfaitement à chaque scène, le montage nerveux parvient à pallier au manque d’action, les costumes sont réussis, et surtout Jamie Scott Gordon délivre une performance d’acteur impressionnante dans les rôles d’Andrew et de son double maléfique. Attention, ne cherchez pas ici une histoire cohérente à rebondissements. C’est un film sensoriel qui raconte un cauchemar et vous allez le vivre aussi. Tout est dans l’immersion et la progression dans la folie et dans ce genre c’est réussi, surtout vu le budget serré de cette production indépendante 100% écossaise. 7/10
Al Final del Tunel (At the End of the Tunnel)
Mon film préféré présenté au festival cette année provient d’Argentine. Joaquín (Leonardo Sbaraglia) est un informaticien en chaise roulante qui travaille dans le sous-sol de sa grande maison où il vit reclus depuis la mort de sa femme et sa fille. Il décide de mettre l’endroit en location pour pouvoir payer ses dettes, et le voilà du jour au lendemain entouré de la belle strip-teaseuse Berta (Clara Lago) et de sa fille, mystérieusement muette depuis 2 ans. Se rapprochant d’elles, Joaquín commence à croire au doux bonheur d’une nouvelle famille jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’une bande de truands dévaliseurs de banque est en train de creuser un tunnel juste à côté de son bureau, et que Berta est de mèche avec eux… Ce film est excellent à bien des égards: la photographie est très belle avec quelques plans hautement symboliques, le film prend le temps de présenter ses personnages, la tension est parfaitement dosée et ne cesse de monter, la musique y contribue également, et surtout le scénario est riche en rebondissements et laisse le spectateur extrêmement satisfait sur la fin. Sans parler des performances impressionnantes des acteurs principaux: Leonardo Sbaraglia a bien travaillé ses biceps pour pouvoir ramper et monter des échelles comme il le fait à l’image tandis que Clara Lago, d’origine espagnole, a appris à parler avec un accent argentin parfait. Rodrigo Grande, le scénariste et réalisateur, a mis plusieurs années pour accoucher de son film et son perfectionnisme était autant apparent à l’écran que durant la séance de questions-réponses qui a suivi la projection, où l’on a pu apprendre entre autres que le nom de l’antagoniste principal - “Galereto” - est l’anagramme de “Alter ego”. Un divertissement de haute volée qui a bien mérité son prix de meilleur thriller. 9/10
Late Shift
Matt, un étudiant passionné de mathématiques et probabilités, a décroché un petit job de gardien dans un parking pour voitures de luxe afin de pouvoir payer ses études. Un soir, il se retrouve entraîné dans une sombre histoire de cambriolage d’une maison d’enchères londonienne. Va-t-il faire profil bas ou faire preuve de cupidité? Va-t-il s’en sortir vivant, sauver l’otage et exposer les vrais coupables? Cela fait partie des nombreux choix que les spectateurs seront amenés à faire au cours de ce film interactif grâce à un système de vote en direct sur smartphone. “Late Shift” est donc un “film dont vous êtes le héros”, ce qui a donné lieu à une ambiance assez spéciale durant la projection à laquelle j’ai assisté lorsque les gens se sont mis à hurler les choix qu’ils désiraient voir l’emporter. La plupart de ces choix a un impact limité sur le déroulement de l’histoire qui garde la même structure, créant uniquement des variantes de dialogue. Par contre le dernier chapitre est la conséquence directe des choix précédents les plus importants et peut faire déboucher l’histoire sur 7 fins différentes, la plupart d’entre elles n’étant pas de vraies fins mais plutôt un arrêt prématuré de l’aventure causé par la mort ou l’arrestation du héros. Au niveau de l’impact réel des actions du “joueur” sur l’histoire on reste donc très loin des meilleurs jeux vidéo d’aventure dont je suis un grand fan, tels que “Heavy Rain” avec ses 4 protagonistes et 18 fins différentes. “Late Shift” est avant tout un film et non un jeu et à cet égard ses qualités cinématographiques sont indéniables et le rendent plaisant à regarder: mise en scène, montage et jeux d’acteurs sont de bonne facture et l’interactivité permet au scénario de mieux décoller, même si c’est de façon un peu artificielle. On en sort en tous cas très satisfait dès lors qu’on arrive à atteindre le happy end. 7/10
22-nenme no Kokuhaku: Watashi ga Satsujinhan desu (Memoirs of a Murderer)
Remake japonais d’un film coréen présenté au BIFFF 2013, “Memoirs of a Murderer” nous présente un meurtrier superstar qui refait surface après qu’il y ait eu prescription pour ses meurtres. Il décide de faire les choses en grand en organisant une conférence de presse très rock’n’roll pour dévoiler son visage et inviter les gens à acheter son bouquin relatant les meurtres, devenant ainsi la nouvelle coqueluche des média. Des hordes de fans à faire pâlir d’envie Marc Levy et Guillaume Musso s’empressent de faire la queue pour faire dédicacer leur copie. Mais l’attitude insolente du tueur ne plaît pas à tout le monde, à commencer par les familles des victimes et l’inspecteur Makimura qui était à deux doigts de l’arrêter 20 ans auparavant. Le film commence très fort avec une caricature de la télé-spectacle et des média qui sent bon la démesure japonaise. Ensuite, un journaliste télévisé apparemment bien renseigné sur les activités du tueur décide de l’inviter lui et le policier dans son émission afin de tirer les choses au clair car il y a quelques incohérences dans son histoire, et c’est là que le scénario bifurque pour nous emmener de révélation en révélation de façon parfois un peu prévisible. Il faut reconnaître que le rythme du film s’essouffle plus on approche de la fin, alors qu’on aurait préféré l’inverse. On notera aussi quelques séquences où la musique ressemble à du bruit qui met les nerfs à fleur de peau. Cela reste un bon divertissement plutôt bien filmé et joué. 7/10
Haebing (Bluebeard)
Ce thriller coréen mis en scène de manière ultra-soignée fait directement référence aux grands classiques hitchcockiens. On y suit un proctologue fraîchement débarqué en campagne dans la périphérie de Gangnam. Il traverse une mauvaise passe: son projet de clinique privée s’est lamentablement planté tandis que sa femme demande le divorce et l’éloigne de son fils. Pour couronner le tout, il a la mauvaise surprise de recevoir un jour à l’hôpital le vieux propriétaire de son nouvel appartement pour une coloscopie, qui lui fait une quasi-confession de meurtre sous sédatifs. Mal à l’aise, notre bon docteur fait le lien entre le vieux et son fils qui tiennent une boucherie au rez-de-chaussée et un cadavre découpé comme une pièce de boeuf ayant récemment refait surface dans la rivière du coin. Les choses empirent encore quand il récupère involontairement ce qui ressemble à un accessoire du meurtre, en éveillant les soupçons du fils boucher… Mais justement, étant donné la quantité de stress qu’il accumule dernièrement et ses insomnies de plus en plus fréquentes, est-il capable de discerner cauchemar et réalité? Ne serait-il pas le plus déséquilibré de la bande? En plus de bénéficier d’une superbe photographie, ce film est très habile pour mettre le spectateur en déroute et lui faire douter de tout ce qu’il croyait acquis, car l’histoire à priori simple se complique vers la fin où on va de surprise en surprise. J’ai trouvé cela très bien écrit et les acteurs sont également impeccables. Certains jugeront le début beaucoup trop long mais je pense que cela est nécessaire pour correctement introduire le protagoniste et mieux faire basculer le film par la suite. Pour moi c’est donc un grand film passé presque inaperçu durant ce festival. 8/10
The Autopsy of Jane Doe
Tommy et son fils Austin sont médecins légistes pour leur petite entreprise familiale. Un vendredi soir, le fiston qui aimerait bien sortir rejoindre sa petite amie décide de donner un coup de main à son père car le shérif leur ramène un cadavre pour une autopsie de dernière minute. Il s’agit d’une inconnue retrouvée enterrée dans des conditions mystérieuses dont le corps semble parfaitement conservé malgré son ancienneté. Alors qu’ils tentent de déterminer la cause du décès, nos deux compères réalisent que la tâche va s’avérer plus difficile que prévu en regard du nombre d’anomalies constatées et des étranges reliques récupérées à l’intérieur du corps… Mêlant film d’horreur et thriller, “The Autopsy of Jane Doe” réserve quelques surprises vers la fin et parvient à maintenir la tension chez le spectateur, notamment grâce à une bonne mise en scène et un bon jeu d’acteurs. Le film comporte également son lot d’images dérangeantes. Malgré toutes ses qualités, je n’ai pas trouvé qu’il se démarquait vraiment d’autres films du genre et j’en attendais un peu plus suite au critiques élogieuses que j’avais pu lire à son sujet. 7/10
Le Grand Tout (The Big Everything)
J’avais un peu peur en voyant les premières images de ce film de “hard science-fiction” français au budget ridicule. “Un peu comme Julie Lescaut dans l’espace” comme disait Stéphane, présentateur du BIFFF. Certes, il n’y avait pas d’argent pour modéliser proprement un vaisseau spatial crédible en images de synthèse et les décors intérieurs ressemblent à la maison des Télétubbies. Mais finalement on oublie vite cela car le film appelle à l’imaginaire et les décors sont colorés et plutôt agréables à l’oeil. C’est l’histoire de 5 personnes faisant partie d’une expédition dont la mission est de repousser les frontières du voyage spatial en allant observer un trou noir situé à 50 années-lumière de la terre. La technologie du vaisseau leur permettant de voyager plus rapidement que la lumière, les quelques semaines de voyage prévues initialement à bord correspondront à plusieurs décennies écoulées sur terre et aucun ami terrien de l’équipage ne sera encore en vie à leur retour. Pour les y préparer, un psychologue est à bord et passe des heures à discuter avec les autres, levant des thématiques philosophiques rarement abordées dans ce genre de film. Quand ils arriveront au trou noir, les choses ne vont évidemment pas se passer comme prévu et ils devront prendre leur destin en main. Comme déjà dit précédemment, ce film stimule l’imagination du spectateur en posant de nombreuses questions sur le rapport de l’homme au voyage spatial dans l’immensité de l’univers et c’est ce qui fait tout son intérêt, car on ne peut pas dire qu’il soit particulièrement bien joué non plus. Son plus gros défaut est sa longueur et ses temps morts: 2 heures 10, là où 1 heure 30 aurait suffit pour raconter l’histoire en gardant un meilleur rythme. Ce qui a pour conséquence que beaucoup décrocheront avant la fin, plutôt belle et onirique. 7/10
Robot Sound (Sori, Voice from the Heart)
Un satellite d’espionnage américain s’écrase au large d’une île coréenne. C’est en s’échouant sur la plage qu’il croise le chemin de Hae-Gwan, un père à la recherche de sa fille Yoo-Joo depuis plusieurs années, refusant de croire à l’annonce de sa mort. Le satellite, qui a l’apparence d’un petit robot, est doté d’une intelligence artificielle et en quelque sorte d’une personnalité. Il est surtout capable d’associer n’importe quelle voix humaine à son numéro de téléphone et enregistre toutes les conversations téléphoniques sur terre. En découvrant cela, Hae-Gwan réalise que l’engin, qu’il baptise “Sori”, est probablement sa dernière chance de retrouver la trace de Yoo-Joo. Il décide alors de le “kidnapper” et le déguiser pour ne pas attirer l’attention, tandis que le gouvernement se lance à leur poursuite afin de récupérer sa propriété. Ce road movie racontant la relation touchante entre un homme désespéré et une machine curieuse des relations humaines est empli de nostalgie et donne lieu à des séquences assez drôles qui rappellent les meilleurs moments de “Short Circuit”, “E.T.” ou encore “Robot & Frank”. Difficile de ne pas esquisser un sourire en voyant Sori en hoodie rose en train de se déplacer en actionnant une chaise roulante. À chaque étape de leur improbable parcours, un voile est levé sur le destin de Yoo-Joo via un flash-back. On a également droit à quelques scènes d’action sympathiques dans le dernier acte. Au-delà du mélange des genres, le thème principal du film est l’amour inconditionnel d’un père pour sa fille et si vous êtes parent, il risque bien de vous tirer quelques larmes et ne vous laissera pas indemne. Un poignant conte moderne. 7/10